samedi 22 juin 2013

L'oeil le plus bleu

de Toni Morrison... qui n'est pas un homme, mais cette dame, j'ai relu en une après-midi pour la énième fois son bouquin....

j'ai eu une période Morrisson, je me souviens en avoir lu beaucoup et puis elle m'a fatigué...elle sait écrire, elle....n'est-ce pas Danny Laferrière, au hasard, qui a osé critiquer son style : un crime....
il y a cette horrible interview avec Paula Jacques sur Inter qui ramenait tout à ce bouquin et Toni qui répondait des généralités flous....ou mauvaise traduction...mais ça m'avait donné un mal de crâne....
on lui a reproché de toujours écrire sur une Amérique du passé, certes, mais elle le fait bien.....

<<<de quoi s'agit-il, deux sœurs noires dans leur quotidien et découverte de la vie, Pécola ,noire, vilaine, son père, sa mère, son frère...c'est raconté en saison....c'est plus digeste et efficace que le Maya Angelou....

p.52 : elle restait assise de longues heures à se regarder dans la glace, en essayant de découvrir le secret de la laideur, cette laideur qui faisait qu’à l’école, les professeurs et ses camarades l’ignoraient ou la méprisaient. Il n’y avait qu’elle dans la classe à être seule à une table de deux….ils n’essayaient jamais de la regarder  et ils ne ’adressaient à elle qu’après avoir interrogé tout le monde…
depuis quelques temps, Pecola se disait que si ses yeux avaient différents, c’est-à-dire beaux, elle-même aurait été différente. Elle avait de belles dents  et un nez moins gros que certaines filles qu’on trouvait mignonnes…

p.54 : chaque soir sans faute, elle priait pour avoir des yeux bleus. Elle avait prié avec ferveur pendant un an…

p.55 : la tête grise de Mr Yacobowski apparaît au-dessus du comptoir….à un moment précis du temps et de l’espace, il sent qu’il n’a pas besoin de faire l’effort d’un regard. Il ne la voit pas, parce que pour lui il n’y a rien à voir. Comment un commerçant immigré de 52 ans…la sensibilité émoussé e par la conscience permanente de l’échec, pourrait-il voir  une petite fille noire ? rien dans sa vie ne lui a jamais laissé penser que cela était possible, pour pas dire désirable ou  nécessaire.
Ouais ? Elle lève les yeux vers lui et voit le vide là où devrait se trouver la curiosité. Et quelque chose de plus. L’absence totale de reconnaissance humaine….il y a quelque chose de blessant ; quelque part sous la paupière inférieure, il y a du dégoût. Elle l’a vu tapi dans les yeux de tous les blancs. Le dégoût  doit être pour elle, pour sa peau noire….

p.70 : ce quelqu’un qui a créé la rupture des saisons c’était une nouvelle qui est arrivée à l’école et qui s’appelait Maureen Peal. Une enfant de rêve avec de longs cheveux châtains nattés en deux cordes de lynchage qui lui pendaient dans le dos. Elle était riche …aussi riche que les plus riches des filles blanches, nées avec une cuillère d’argent dans la bouche…
Toute l’école était sous le charme. Quand les professeurs l’interrogeaient, ils lui souriaient pour l’encourager. Les garçons noirs ne la bousculaient  pas dans les couloirs, les garçons blancs ne lui jetaient pas de pierre, les filles blanches ne pinçaient pas les lèvres quand elles devaient travailler avec elle ; les filles noires s’écartaient quand elle voulait se servir du lavabo des toilettes…

p.73 : des garçons faisaient cercle autour d’une victime, Pecola Breedlove. …ils l’entouraient comme un collier de pierres…troublés par leur propre odeur, encouragés par la puissance facile que donne le plus grand nombre, ils la harcelaient pour s’amuser « noire-de peau, ton père dort à poil, noire-de peau, ton père dort à poil………le fait qu’eux-mêmes étaient noirs et que leurs pères avaient les mêmes habitudes n’avait rien à voir dans l’histoire. C’était le mépris qu’ils éprouvaient pour leur propre couleur qui donnait son mordant à l’insulte. Ils semblaient avoir réuni toute leur ignorance doucement cultivée, leur haine de soi si bien apprise, leur désespoir minutieusement mis au point, pour en faire un paquet de violence et de mépris…..

p.75 : Pecola ?  est-ce que ce n’était pas le nom de la  fille dans Imitation de la vie ?
- je  ne sais pas. Qu’est-ce que c’est ?
- le film, tu sais, il y a une fille mulâtre qui déteste sa mère parce qu’elle est noire et laide, mais à la fin elle pleure à son enterrement….

p.81 : J’ai dit : « arrête de parler de son père.
- qu’est-ce que j’en ai à faire de son vieux père noir, a demandé Maureen
- noir ? qui tu traies de noir ?
- vous !
…..à l’abri de l’autre côté, elle nous a crié : «  je suis mignonne ! vous  êtes laides ! noires et laides et noires de peau. Moi je suis mignonne ! »......

p.82 : nous nous laissions ensevelir par la sagesse, l’exactitude et la pertinence des dernières paroles de Maureen. Si elle était mignonne_ et si on pouvait croire quelque chose c’était bien ça _ alors nous ne l’étions pas. Et qu’est-ce que ça voulait dire ? Nous lui étions inférieures. Plus gentilles, plus vives, mais inférieures. Nous pouvions détruire des poupées mais ne pouvions détruire les voix douces des parents et des tantes, l’obéissance dans les yeux de nos égales, la lumière glissante dans le regard de nos professeurs quand ils rencontraient les Maureen Peal du monde……….la chose à a craindre c’était ce qui la rendait belle et pas nous.

p.91 : elles vont dans les collèges techniques d’Etat, des écoles normales et apprennent à accomplir avec délicatesse le travail de l’homme blanc : enseignement ménager pour lui préparer ses repas ; pédagogie pour enseigner l’obéissance aux enfants noirs, musique pour détendre le maître fatigué et distraire son âme engourdie. Elles apprennent là le reste de la leçon commencé dans ces maisons avec des balançoires sous le porche : comment se tenir. Comment développer avec prudence le sens de l’épargne, la patience, les bonnes  mœurs et les bonnes manières. En gros comment se débarrasser de la frousse…..elles mènent cette bataille jusqu’à leur tombe. Le rire est un peu trop bruyant ; la prononciation un peu trop ronde ; le geste un peu trop généreux. Elles rentrent leur derrière de peur d’un balancement un peu trop libre ; quand elles mettent du rouge, elles ne se recouvrent jamais entièrement la bouche de peur que leurs lèvres soient trop épaisses et elles sont inquiètes, à cause de leurs cheveux crépus.

p.95 : Des blancs ; sa mère n’aimait pas qu’il joue avec des nègres. Elle lui avait expliqué la différence entre les métis et les Noirs. Ils étaient facilement identifiables. Les métis étaient propres et calmes ; les nègres étaient sales et bruyants. Il appartenait au premier groupe : il portait une chemise blanche et un pantalon bleu ; il avait les cheveux coupés le plus ras possible pour faire oublier toute idée de laine, et le coiffeur lui découpait une raie dans les cheveux. En hiver, sa mère lui mettait de la lotion Jergens sur le visage pour que sa peau ne devienne pas d’un gris cendré. Même s’il avait la peau claire, elle pouvait devenir grise. La séparation entre les métis et les Noirs n’était pas toujours évidente ; des signes subtils et dénonciateurs menaçaient de l’ébrécher, et il fallait être constamment vigilant.

p.100 : Il y en avait partout. Elles dormaient à six ensemble et leurs pipis se mélangeaient  dans la nuit car elles mouillaient leur lit…elles traînaient désoeuvrées,  arrachaient le plâtre des murs et creusaient la terre avec des bâtons. Elles s’asseyaient en rang sur le rebord du trottoir, elles s’entassaient dans des bancs à l’église en prenant la place des enfants métis, jolis et propres…..l’herbe ne poussait pas là où elles habitaient. Les fleurs mourraient…elles erraient comme des mouches ; elles se posaient comme des mouches. Et celle-ci s’était posée dans sa maison. Elle la regardait par-dessus le dos arqué du chat. « Sors d’ici, a-t-elle dit de sa voix calme. Sale petite garce noire. Sors de chez moi ».

p.125 : je n’avais pas l’habitude de voir autant de Blancs. Ceux que j’avais vu auparavant, ils étaient odieux mais je ne les voyais pas beaucoup. Je veux dire qu’on n’avait pas trop d’échanges avec eux. De temps en temps, dans les champs ou au magasin, mais ils voulaient tout de nous. Au Nord, il y en avait partout_ à côté, en bas, dans les rues_ il y avait pas beaucoup de Noirs. Les Noirs du Nord étaient différents eux aussi. Hautains. Aussi méchants que les Blancs. Ils vous faisaient vous sentir qu’on était moins que rien, et je ne m’attendais pas à ça d’eux

p.132 : un docteur un peu âgé est venu m’examiner. …il a mis des gants sur une main et une espèce de gelée dessus et il me l’a fourrée entre les jambes…le vieux, il enseignait les bébés aux jeune….quand il est arrivé à moi, il a dit : «  avec ces femmes-là, on n’a aucun problème avec elles. Elles accouchent tout de suite sans douleur. Comme les juments ». Les jeunes ont eu un sourire….Je les ai vus qui parlaient à des femmes blanches : comment vous sentez-vous, vous allez avoir des jumeaux ? » des banalités bien sûr, mais gentilles…
p.134 : des yeux tout doux, tout humides. Un mélange de petit chien et de vieillard en train de mourir. Mais je savais qu’elle était laide. La tête couverte de jolis cheveux, mais Seigneur qu’est-ce qu’elle était laide.

p.177 : il aurait pu être homosexuel mais n’en avait pas le courage. Il n’avait jamais pensé à la zoophilie et la sodomie était hors de question car il n’avait pas l’idée de celle d’un autre car il n’avait pas d’érections prolongées et ne pouvait supporter l’idée de celle d’un autre. En outre, la seule chose, qui le dégoûtait encore plus que de pénétrer et de caresser une femme, était d’être caressé ou de caresser un homme…..aussi son attention s’était-elle portée….sur les enfants…il avait fini par limiter son intérêt aux petites filles.


p.178 : en bonne imitatrice de l’esprit victorien, elle avait appris de son mari tout ce qu’elle méritait de l’être_ à se séparer en corps, esprit et âme de tout ce qui pouvait rappeler l’Afrique….ils avaient transmis cette anglophilie à leurs 6 enfants et à leurs 16 petits-enfants… ils s’étaient élevés par le mariage en éclaircissant le teint de la famille et en atténuant les traits.
Avec une confiance née de la conviction de leur supériorité, ils réussissaient très bien à l’école. Ils étaient travailleurs, méthodiques et énergiques, et espéraient prouver sans discussion possible l’hypothèse de Gobineau selon laquelle « toutes les civilisations découlent de la race blanche, aucune ne peut exister sans son aide, et une société n’est grande et brillante que dans la mesure où elle préserve  la sang du groupe noble qui l’a créée »….

p.185 : qu’est-ce que je peux faire pour toi ?...mes yeux je veux qu’ils soient bleus…
de  tous les souhaits que les gens lui avaient adressés_ amour, argent, vengeance_ celui lui paraissait le plus poignant et mériter le plus d’être exaucé. Une petite fille noire qui voulait sortir de la fosse de sa négritude pour voir le monde avec des yeux bleus

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