mercredi 25 septembre 2013

Le ventre de l'Atlantique : part II

p.126 : malgré l'absence de bagages, personne ne se doutait de son infortune : il avait certainement hâte de voir la famille...ne pouvant plus laisser les siens s'endetter pour l'honorer, il raconta sommairement sa France. L'explosion de la vérité le couvrit de cendres. Il ne brilla plus de la lumière européenne et devint moins intéressant que le plus sédentaire des insulaires. Presque tout le  monde le méprisait, même l'idiot du village s'octroyait le droit de le tancer :

- Tous ceux qui ont travaillé là-bas ont construit des maisons et des boutiques, dès leur retour au pays. Si tu n'as rien ramené, c'est que tu n'as rien foutu là-haut....
p.133 : si ses camarades se servaient du football comme d'un simple prétexte pour atteindre l'occident et s'y débrouiller dans n'importe quel domaine d'activité, lui voulait aller en France enflammer les stades de son talent....

p.135 : que pouvait-il savoir de leur misère, de leur couscous au poisson tous les soirs, de leurs parents inquiets, qui comptaient sur eux pour leurs vieux jours ? Dans son logement de fonction  que pouvait-il entendre des sanglots nocturnes de leur maman lorsqu'il n'y avait rien à mettre dans la marmite ?....n'est-il pas facile de philosopher quand on le ventre plein ? Eux en avaient assez de suçoter les joues et d'inventer des tours de magie pour transformer le poisson séché en steak rouge.
p.182 : puisque tu ne veux pas m'aider, laisse-moi faire. Tu es devenue une européenne, une individualiste. Un gars du village revenu de France dit que tu réussis très bien là-bas, que t'y as publié un bouquin. Il jure qu'il t'as même vu à la télé. Des gens disent ici qu'un journal de chez nous a aussi écrit de choses à propos de ton livre. Alors avec tout le fric que tu gagnes maintenant, si tu n’étais pas égoïste, tu m'aurais payé le billet, tu m'aurais fait venir chez toi....
Voilà donc pourquoi mon frère, ne tenait plus en place. L'immigré qui lui avait rapporté ces nouvelles avait amplifié son espoir. Les stars multi- millionnaires du football qu’il  admire passent à la télé. Aucun doute dans son esprit : sa soeur vue à la télé, surtout en France était forcément devenue riche...

p.184: ce qu'elle voulait, elle , c'était survoler l'Atlantique, s'installer de l'autre côté et regarder la télé, tous les soirs, auprès de son mari. Elle voulait que ses enfants comme ceux de la première épouse, puissent dire : je suis né en Frââânce !.....

p.186 : un tâcheron quittait un foyer anonyme de la Sonacotra, un pharaon débarquait à Dakar,
avant d'aller s'installer au village.......Les Blancs il ne pouvait plus les sentir, disait-il à cause de leur sournoise façon de relativiser  le racisme pour mieux le pratiquer ou rester indifférents aux difficultés de ceux qui en sont victimes . Les Noirs ils  ne les supportait plus, à cause de leur manie de voir le racisme partout, surtout les ratés ............Imaginez donc l'évènement, le jour où, par hasard, il vit à l'écran cette cousine lointaine....pour la première fois de sa vie, il suivait une émission littéraire jusqu'au bout....mais cela lui suffit pour bâtir une épopée qu'il s'empressa de raconter dès don retour au village....L'orgueil identitaire est la dopamine des exilés. Et puis donner des nouvelles d'un autre émigré à sa famille restée au pays, ça vous vaut toujours reconnaissance et admiration. Alors, pendant que, pour rehausser leur image, des aides- soignants se font passer pour des médecins, des vacataires de l'enseignement pour des professeurs, des techniciennes de surface pour des gérantes d'hôtel, certains vacanciers racontent avec moult détails la vie de personnes dont ils ignorent tout.....
p.189 : Aller voir cette herbe qu'on dit tellement verte là où s'arrêtent les dernières gouttes de l'Atlantique, là-bas où les mairies paient les ramasseurs de crottes de chiens, là où même ceux qui ne travaillent pas perçoivent un salaire.....
p.191 : on doit tout partager, le bonheur comme le malheur. La mémoire collective n'hésite pas à ressasser sa maxime : bien de chacun, bien de tous.....je devais nourrir mes convives autoproclamés sans broncher, sous peine de passer, dès mon arrivée pour une individualiste occidentale, une dénaturée égoïste.....
Mais l'argument suprême était connu de tous : " elle vient de France" disait-on et dans l'acceptation générale cette petite phrase était plus éloquente que n'importe quel discours. Prévu pour durer un mois, mon argent de poche me filait entre les doigts.....

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